Pour découvrir Charles Simonds, rien de mieux qu'un article qui retrace son histoire, auteur France Huser :
"Charles Simonds, le bâtisseur de rêves
Cet artiste américain construit des maisons miniatures en argile. Il y fait pousser des plantes et des fleurs. Créant ainsi de véritables sculptures vivantes
Ces petites maisons miniatures que construit Charles Simonds, les voici aujourd'hui exposées dans un musée. Pourtant, c'est d'abord le long des rues, à l'intersection de deux murs, dans une fissure, la brèche d'un édifice abandonné que ce sculpteur a commencé à faire ces maisons insolites greffées sur la ville elle-même. Dans ces années 70 où les sculpteurs américains du land art entaillaient les roches du Nevada ou déplaçaient des tonnes de terre dans le désert, lui, Charles Simonds, amoureux de la terre aussi, se mit à fabriquer de minuscules briques d'argile, utilisant une pince à épiler pour les poser les unes sur les autres.
Son aventure débute vers la fin des années 60. Simonds, qui avait suivi un enseignement de sculpteur traditionnel et enseignait lui-même la sculpture, fut fasciné par la beauté des terrains argileux du New Jersey. Très vite, l'argile devint son matériau de prédilection. Se souvint-il aussi d'un voyage qu'il avait fait dans son enfance au Mexique et des bâtisses où vivent les Indiens? Ces maisons qu'il se met à construire ont le même caractère primitif. Mais elles témoignent pour lui de l'histoire d'un peuple imaginaire qu'il appelle «the little people». De 1970 à 1976, il réalisa ainsi des centaines de maisons dans le Lower East Side.
Les habitants s'arrêtaient, étonnés, discutaient avec Simonds. Dans ces labyrinthes mystérieux qui naissaient sous les doigts du sculpteur et qui évoquaient une civilisation opprimée, disparue, ne retrouvaient-ils pas leur propre histoire, celle de minorités qui, logées dans des quartiers misérables de New York, devaient lutter pour que la municipalité ne rase pas leurs ghettos? Récusant le système des galeries et du marché de l'art, ces œuvres de Simonds restaient dans la rue, à la merci des intempéries ou du vandalisme. Chacun pouvait se les approprier ou les détruire.
Sans s'en soucier, Charles Simonds allait un peu plus loin construire d'autres habitations. Une façon de montrer qu'aucune civilisation ne doit être détruite. Parfois, à côté de lui, comme pour participer à son travail, des teen-agers portoricains se mirent à composer des peintures murales qui racontaient leur arrivée à New York, la misère,la ségrégation, l'exploitation. Simonds parcou-rut le monde en y édifiant ainsi les vestigesarchéologiques de ses «little people»: on put en voir à Chicago, à Los Angeles, Genève, Anvers, Bâle, à Paris dans les rues de Ménilmontant. Ce dialogue qu'il entreprenait ainsi avec la ville, avec ses habitants, Simonds a voulu le pousser encore plus loin. Dans certaines de ces œuvres, comme la «Placita» ou le «Stanley Tankel Memorial», il s'est efforcé de comprendre et de traduire les besoins d'une collectivité. En témoigne ici cette «Growth House», réplique de celle que l'artiste construisit aux Etats-Unis. Ses murs sont constitués de grands sacs de terre empilés les uns au-dessus des autres. Ils contiennent des graines, et sur les parois fleurissent des pâquerettes, des pervenches, du liseron.
Chaque jour la «Growth House» est différente, enrichie d'une nouvelle pousse, d'une nouvelle vie qui est apparue sur elle. C'est un hymne à la nature, au cycle toujours recommencé des saisons. Dans les salles du Musée du Jeu de Paume, on croirait assister à une sorte de miracle devant cette œuvre étrange qui fait appel à tous les sens du spectateur, à l'odorat aussi bien, car avant même de voir la «Growth House» on sent une odeur qui évoque un sous-bois, la fraîcheur d'une cascade. Un nouveau défi donc à la ville industrielle, à ses inhumaines constructions de béton et d'acier.
Quand Simonds quitte ainsi l'infiniment petit pour aborder des sculptures de plus grande taille, c'est toujours pour affirmer la puissance de la vie: ainsi «Age», construite en 1983 pour le Musée Guggenheim, nous présente l'univers lilliputien des «little people», mais au sommet d'une colline dont les plis, les accidents semblent conter l'histoire des millénaires d'un passé qui aurait donné cette ardeur rouge à la terre.
Toujours Simonds réaffirme la présence de l'homme. Ce paysage qu'il a modelé à même le mur du musée? Cherchez bien. Vous découvrirez bientôt un visage qui se dessine dans la masse des nuages. D'autres visages encore se distinguent ailleurs, dans ce qui ne paraissait être au premier abord que des roches. Toujours ainsi des histoires chuchotent, augmentent la poésie de cette œuvre étrange. Et si Simonds filme encore, dans «Birth», un paysage désertique qui semble être le chaos originel, c'est pour y montrer l'alliance de la terre et de l'homme, comment il naît d'elle, nouvel Adam qui surgit, les cheveux, le visage, le corps tout entier maculés de boue."